Ötillö Swimrun World Championships 2019

Sandhamn - Utö, Suède

par Jean-Nicolas

Le prix de l'apprentissage

par Jean-Nicolas

A course exceptionnelle, compte rendu exceptionnel. Je ne vais pas retracer la course minute par minute car elle a été longue et que pour cette fois on va garder tout ça dans notre tête et notre cœur.

L'aboutissement

Depuis l'Anjou Swimrun de 2017, mon premier swimrun en binôme avec Yann, nous avons vécu tellement de choses ensemble qu'il est difficile de résumer tout ça. Dès le départ nous avions l'envie de participer à ÖtillÖ ensemble, un sacré challenge en perspective. Cette envie nous a emmené en Suisse, en Allemagne, en Croatie, aux îles Scilly (même si nous n'avons pas couru ensemble), en Pologne, à Jablines, à Vassivière...

Nous nous connaissions déjà bien mais toutes ces courses nous ont fait nous connaître sur le bout des doigts. A tel point que nous n'avions plus besoin de parler pour communiquer. Les débuts furent difficile à Engadin en 2017 mais nos progrès ont été constants. Même si l'on reste loin du niveau des meilleurs, on prend maintenant plus de plaisir et on va plus vite sur tous les parcours.


Les différents World Series et Merit Races auxquels nous avons participé nous ont permis d'avoir assez de points aux rankings ÖtillÖ pour participer au championnat du monde 2019. La bonne nouvelle est tombée le 7 février, double bonne nouvelle d'ailleurs puisque Sylvie et Sophie seront aussi de la partie. Plus question de faire demi tour, cette envie d'ÖtillÖ est désormais une réalité et il va falloir assumer. 75km, sans doute entre 10 et 11h de course, ça ne va pas se faire comme ça. On essaye de planifier une préparation tant bien que mal.

Ce sera chacun de notre côté avec trois courses pour travailler le spécifique swimrun. Ce n'est clairement pas une préparation pour jouer un quelconque classement, il s'agit "juste" d'être en condition physique pour terminer l'une des courses les plus dures du monde. Yann est embêté dans sa préparation par son mollet puis son talon d'Achille qui l'empêchent de courir une grande partie du printemps. Personnellement je me remet de mon opération de la main après une chute fin octobre 2018 et j'ai vraiment repris le sport début Janvier 2019, je ne sais pas quels effets ont eu sur mon corps ces 2 mois d'arrêt.

La première étape pour moi arrive mi Mars avec les 80k de l'écotrail de Paris, un vrai test grandeur nature pour savoir comment mon corps réagit sur une épreuve de plus de 10h. Je vais au bout tant bien que mal, il ne faut jamais rien lâcher, tout ce qui ne nous tue pas nous rends plus fort. Courir 30k c'est faisable, 50k c'est compliqué. Je me rend compte que repartir sur 30k après en avoir fait 50, c'est principalement du mental. Très bonne leçon pour ce qui nous attend en septembre.

Puis vient Hvar, première sortie swimrun de l'année sur un parcours que je connais bien puisque j'y reviens pour la 3è fois. Nous décidons de nous encorder pour la première fois afin de tester. Malheureusement dès les premiers mètres Yann ressent de vives douleurs au mollet et au talon d'Achille, nous adaptons alors une allure tranquille et finissons quand même la course en 30min de moins que l'année passée. Nous n'avons que très peu apprécié la longe donc l'expérience d'encordage ne sera pas reconduite. Yann commence à essayer de soigner son mollet, de mon côté je nage bien plus que je ne courre même si j'ai incorporé plus de course à pied qu'à l'accoutumée.

A partir de mi Mai nous enchainons les weekends chargés, raid, swimruns, eau libre, tout y passe. Nous profitons de la Gravity Race à Jablines pour faire un swimrun "à domicile", nous constatons que nous sommes toujours un peu long sur les transitions mais que nous sommes capables de tenir une meilleure cadence à pied. Lors du swimrun de Vassivière, nous sommes confrontés au froid, la pluie et le vent, le tout avec des passages techniques en sous bois dans ce que nous pensons être un terrain proche de certaines îles d'ÖtillÖ. Là encore nous constatons nos progrès à pied, d'autant que sortant d'un stage de 10j de natation, je ne suis pas en capacité de nager fort donc pour la première fois nous gérons les natations et relançons à pied. Cette gestion de course s'avère très instructive.


Puis arrive début Juillet, fin de la saison de natation pour moi et préparatifs du voyage de noce pour Yann. Nous faisons alors nos dernières sessions de préparation ensemble avant de se retrouver fin août pour le départ en Suède. Je fais un gros mois de préparation alternant crossfit, natation et sorties course à pied. Le temps passe vite et je coupe les grosses sessions deux semaines avant ÖtillÖ. Rétrospectivement sans doute un peu tôt, surtout que je n'ai pas très bien gérer cette période d'affûtage. Mais c'est comme ça qu'on apprend. Yann est revenu gonflé à bloc de son voyage de noce et fait également une grosse fin de préparation, sans doute meilleure que la mienne. Nous nous retrouvons alors à Paris, où mes parents nous rejoignent également pour cette grande aventure : Direction la Suède. Physiquement nous sommes prêts, nous savons que si nous ne faisons pas d'erreur nous irons au bout. Mais sur une course de 75k, que nous espérons faire entre 10 et 11h, tout peut arriver donc pas d'excès de confiance. Il y aura des impondérables, des coups de mou, des surprises... Il faudra rester fort dans la tête.


La grande aventure

Nous voilà donc arrivés à Stockholm, première surprise pour moi, le jour se lève à 5h30 et il n'y a pas de volets... Heureusement que nous sommes arrivés tôt pour s'habituer, le sommeil est roi pour moi et si je le gère mal c'est compliqué de performer. Nous profitons des 3 premiers jours pour visiter Stockholm et tester un peu l'eau du lac. Première grosse surprise, nous découvrons un complexe aquatique sans équivalent en France, 2 bassins de 50, 2 bassins de 25, 2 fosses à plongeon, un sauna, un hammam... Nous restons donc un peu plus longtemps que prévu pour profiter de tout ça! Après une bonne série en pull plaquette dans le bassin principal, nous profitons du complexe et nageons dans tous les bassins et dans le bonheur. Nous rencontrons également les autres membres de la délégation française lors d'une mise à l'eau en plein Stockholm et d'un dîner fort sympathique.

La parenthèse dorée se referme et nous voilà en direction de la gare routière pour rejoindre les bus affrétés par l'organisation. Nous voilà en route pour Djuronaset et son magnifique hôtel où nous récupérons notre kit de course, participons au briefing d'avant course, profitons des deux bassins pour se délasser les muscles et finissons la journée par un dîner avec tous les autres concurrents. L'appréhension commence à monter, nous restons calme, il ne faut pas tomber dans l'euphorie. Nous savons ce que nous avons à faire, on répète les mêmes gestes que d'habitude, peut être un peu plus consciencieusement quand même. Les sacs sont prêts, le matériel est inspecté et prêt, le réveil est réglé sur 3h40. Il n'y a plus qu'à essayer de dormir. Je ne passe pas la meilleure nuit de ma vie, Yann non plus d'ailleurs mais le réveil finit par sonner, 3h35, Yann a déjà commencé à vouloir être plus rapide que moi.


Nous entrons alors dans le bal des concurrents, petit déjeuner, stress, concentration, rejoindre le ferry, ne rien oublier... La descente à la bougie entre l'hôtel et l'embarcadère commence à nous mettre dans l'ambiance. Nous quittons le monde réel et entrons dans le monde magique de l'ÖtillÖ. La playlist motivation dans les oreilles, la carte de la course sous les yeux pour une dernière révision, nous voilà parti pour 45min de ferry. 5h20 à bord du ferry, il est temps de mettre la vaseline, de sortir le matériel encore dans le sac. Cette fois ça y est la tension est bien là, nous pouvons constater que l'orage de la veille a bien mouillé tout le parcours. D'ailleurs il se remet à pleuvoir quelques instants avant le départ. Nous entrons dans le sens dans les derniers, nous nous faufilons jusqu'au ventre mou du peloton et "PAN" c'est parti.

Les chemins ne sont pas assez larges pour laisser passer la masse des concurrents donc nous sommes bloqués et prenons notre mal en patience. Arrive alors la première partie natation, la plus longue de l'épreuve, nous voilà dans notre élément, il fait meilleur dans l'eau qu'en dehors. L'eau n'est quasiment pas salée, ça me surprend un peu mais pas le temps de se poser de questions, Yann est en forme dans l'eau, j'accroche ses pieds et nous remontons un paquet de concurrents. A la sortie de l'eau, première grosse surprise en mettant les pieds sur Vindalsö...

Même si on sait que les rochers sont glissants, tant que l'on a pas mis le pied sur l'un d'eux on ne le sait pas vraiment. La course à pied, extrêmement technique sur ce terrain, se transforme rapidement en toboggan pour nous. Nous chutons chacun notre tour, Yann se tapant méchamment le genou et moi la cheville et le coude droit. Nous sommes clairement parmi les plus lents mais le cerveau et le corps ne veulent pas d'une chute de plus alors on s'adapte et on n'avance pas. Nous n'étions pas du tout prêt à ça, les deux premières heures sont très longues. Il faut redoubler de vigilance à chaque fois que l'on pose un pied, essayer de se rattraper quand on dérape.

Nous parvenons enfin à Runmarö après une section natation où nous avons vu le bateau des supporters. Enfin des chemins praticables pour nous pauvres coureurs du dimanche et ça fait du bien de pouvoir accélérer l'allure d'autant qu'une fois n'est pas coutume nous reprenons des binômes à pied sur les parties roulantes. Sur cette partie je sens Yann en forme, ma montre affiche 4.45 au kil et je le vois vouloir prendre le lead. Je suis un peu surpris et je le laisse relancer trop heureux de pouvoir tourner les jambes. Arrivés au premier ravitaillement nous croisons nos supporters pour la première fois ce qui fait quand même un bien fou après une première partie de course très compliquée. Nous repartons plus confiants et Yann m’annonce que nous aurons du mal à faire moins de 12h00. Je ne comprends pas, je lui demande pourquoi, et il me dit qu’à 6.10 au kil on est vraiment trop lent. Grosse incompréhension, je lui dit qu’on a fait les 3 derniers km en moins de 5 au kil. Il me répond que sa montre lui affiche 6.10 au kil depuis la dernière sortie d’eau. Ma montre n’est clairement pas d’accord et on en conclue que la sienne déconne et je comprends mieux pourquoi il voulait forcer l’allure auparavant. Voilà Yann rassuré, trop rassuré même comme en témoigne le raté de parcours que nous faisons plus occupés à regarder notre allure sur nos montres qu’à regarder le fléchage du parcours. Heureusement le binôme derrière nous nous sauve la mise en nous avertissant de notre erreur.

Nous avons repris du poil de la bête et nous relançons bien jusque Nämdö. Au ravitaillement j'ai mon premier coup de mou de la journée, il va durer quasiment 2h... Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas assez ouvert ma combi, si c'est parce que j'ai mal géré mon alimentation, si la chute du début de course à laisser plus de traces que je l'ai pensé ou autre chose mais de la 4è à la 6è heure je n'ai plus de son, plus d'image... Je passe en mode automatique, il ne faut rien lâcher, je suis Yann du mieux que je peux. Ce n'est pas glorieux dans l'eau, nous attaquons de nouveau des îles avec rochers glissants et sous bois techniques. Au détour d'une colline, nos supporters sont de nouveau là, on doit descendre en toboggan ou en rappel. Le soleil est de retour mais le vent s'est levé, on ne se réchauffe pas en sortant de l'eau. Comme prévu on a froid et ça fait mal à la tête et au corps.


Nous voilà au fameux PigSwim, 1400m dans une mer jamais calme. Même pour nous qui sommes nageurs, cette traversée a été compliquée, le vent, les vagues et le courant s'en mêlent pour nous jouer tous les tours possible. Heureusement à la sortie on nous tend un Twix qui fait un bien fou même si j'aurai préféré une bonne soupe chaude! C'est par là que je sors de ma torpeur, le corps répond de nouveau et je peux de nouveau prendre le relais de Yann dans les sentiers techniques. Même si les rochers sont désormais secs, le cerveau est toujours en mode glissant donc nous avançons beaucoup trop prudemment mais encore une fois, hors de question de tomber. D'autant que nous avons désormais en vue le terrible semi marathon qui nous attends à Ornö.


Un dernier enchainement course à pied natation et nous voilà au dernier ravitaillement avant le 19.7k, il faut nager un petit 200m avant et c'est parti. Là encore grosse surprise, les premiers kilomètres sont bien plus techniques que ce à quoi on s'attendait, ça fait mal à la tête mais finalement on arrive sur un chemin plus large et sur lequel on peut courir sans difficulté. On enlève le haut, on essaie de boire et de s'alimenter. Finalement on ne marche quasiment pas, nous ne sommes pas très rapides mais même à 6 minutes au km nous sommes contents d'avancer. Nous croisons un ravitaillement "sauvage" organisé par des habitants très sympathiques, Yann apprécie très particulièrement les chips.

Sur ce tronçon que nous appréhendions le plus nous sommes plutôt efficaces comparé au reste de notre course jusqu'à présent. L'objectif moins de 11h semble à portée de bras même si ce n'est pas simple. Plus de 9h de course, le mental a pris le relais. Nous croisons un binôme mixte français avec qui nous partageons quelques kilomètres en discutant ce qui aide à faire passer le temps et la difficulté. Ce semi n'a finalement rien d'une sinécure, il est peu plat, semé de parties techniques surtout au début et à la fin. Sur les deux derniers kilomètres nous voilà de nouveau dans les champs et en sous bois techniques. Adieu les moins de 11h semble-t-il, tant pis au point où on est il s'agit de finir.

Les 19.7k sont terminés nous revoilà à l'eau, j'ai pas très envie d'y retourner, il a fait très chaud, l'eau est froide et le vent n'aide pas. Nous faisons une transition extrêmement lente, le temps de remettre le matériel, le cerveau et les jambes à l'endroit. Nous attaquons la dernière ligne droite de la course avec beaucoup d'enchaînements natation course à pied court. Il y en a tellement qu'on perd le compte, tant pis il reste une natation de plus que prévu.



Nous arrivons enfin à Utö, 3.6k à courir et c'est la délivrance. Pas de sentier technique, un chemin propre pour courir et mon père qui nous attend en quad, nous le suivons en courant mais je sens tout de suite que ça ne va pas, les jambes et le souffle ne répondent pas. Je baisse la tête et je ne vois plus que les talons de Yann, il faut continuer d'avancer, ne rien lâcher... Je fini par dire stop et nous marchons 500m, ça va mieux, je vais chercher les dernières forces qu'il me reste et nous repartons en courant. Arrivé au 600 derniers mètres il y a une côte pour finir juste avant l'arrivée, c'est la goute d'eau qui fait déborder le vase, je craque mentalement, impossible de lever les cuisses pour monter. Nous marchons dans la côte, l'arche d'arrivée est juste devant moi mais impossible de repartir, Yann me pousse dans le dos. Je suis dans un état second, j'aperçois maman qui me tend la main, je ne comprend pas si elle veut taper dans la mienne ou prendre mes plaquettes... La côte est finie, nous repartons en courant pour les 20 derniers mètres. J'ai passé la ligne d'arrivée, je ne suis plus où je suis, je n'ai pas levé les mains, je n'ai pas pris Yann dans mes bras, Michael me prend dans les bras et me donne ma médaille de finisher. Je fini alors dans les bras de mon père, je ne sais pas si c'est lui qui pleure ou si c'est moi ou si c'est les deux.

On a fini ÖtillÖ et je ne réalise rien, j'ai perdu Yann, je vais mécaniquement voir les docteurs pour contrôler mon coude qui a saigné toute la course. Les forces me reviennent petit à petit, je retrouve Yann et mes parents attablé après la ligne d'arrivée. Quelques sandwiches, Nocco et une bière plus tard ça va mieux. Il ne reste plus qu'à aller prendre une douche et attendre Sylvie et Sophie qui sont encore en course. Elles finiront en 13h31 soit 2h15 après nous qui m'ont paru 45min.

Que cette aventure fut belle... Et dure! Nous avons passé une journée magnifique avec Yann malgré les difficultés, les coups de mou, les surprises nous sommes resté un binôme soudé et équilibré. C'est bien ça l'esprit du swimrun, aller au bout de soi à deux! Qu'il est loin le temps des premiers swimruns, nous avons livré notre course la plus aboutie de ces dernières années. Personne n'a triché, on est allé au bout de ce que l'on pouvait faire en ce 2 Septembre 2019. 11h12 au final, nous ne nous étions pas trompé tant que ça sur nos prévisions surtout vu comme nous avions sous estimé la difficulté du début du parcours et des parties techniques. Nous avons payé pour apprendre mais de la plus belle des manières, en surmontant les difficultés, en allant chercher au bout de nous même et en repoussant nos limites.


Grandir

Maintenant que nous avons réalisé notre rêve, le retour à la réalité est un peu dur. Où est-ce que l’on va désormais? Que va-t-on faire après? D’un point de vue purement swimrun nous avons très largement vu nos limites. Techniquement nous sommes nuls sur les chemins de trail et les cailloux glissants. Dommage il y en avait partout! Nous n’avons pas sur bien gérer les ouvertures de combi également, en revoyant le live on voit que les meilleurs l’enlève et la remette bien plus souvent que nous. Nous avons mal géré les ravitaillements, nous sommes trop lent sur les passages au stand et nous ne nous sommes pas assez alimenté entre les ravitaillements. Il va falloir reprendre les lectures sur l’alimentation de l’effort pour établir un plan avant la course et s’y tenir. Les transitions sont également perfectibles surtout dans l’anticipation parce que trop souvent nous sommes arrivés les pieds dans l’eau avec la combi encore ouverte et les lunettes pas sur la tête.